Schizophrénie et rétablissement : analyse phénoménologique d’un cas de retrait positif

Le paradigme du rétablissement émerge en santé mentale depuis une trentaine d’années, il devient aujourd’hui central dans les pratiques psychiatriques. Le rétablissement expérientiel d’une personne désigne un processus singulier, subjectif et dynamique de réappropriation d’une vie satisfaisante en s’appuyant sur ses forces, ses valeurs, et sur l’expérience de la maladie psychiatrique. Ce concept a entraîné un changement de regard des acteurs en santé mentale sur la manière de comprendre l’expérience vécue des personnes vivant avec une schizophrénie. Nous proposons dans cet article l’analyse phénoménologique d’une situation clinique de retrait positif. Ce phénomène a été mis en lumière par les travaux anthropologiques de Corin et Lauzon au Québec. Il désigne une forme choisie de retrait social et relationnel, permettant à la personne avec une schizophrénie de rétablir des liens dans une distance contrôlée et sécurisante. Dès lors, il s’agit de proposer une perspective radicalement différente de ce que la sémiologie psychiatrique désigne par symptômes négatifs, apragmatisme et isolement social à partir d’une perspective en première personne. Dans cet article s’appuyant sur une situation clinique, nous proposons d’éclairer les agencements et négociations permanents opérés par le patient s’agissant de son espace vécu, de son rapport à autrui et de son expérience du temps. Nous montrerons qu’au travers de la tension dialectique entre proximité et distance avec le monde partagé, le patient redécouvre et se réapproprie une subjectivité propre, alors que celle-ci vient réciproquement autoriser le réinvestissement progressif du monde commun et des exigences sociales. Nous examinerons aussi la construction de ses croyances ésotériques et mystiques dont le syncrétisme délirant soutient le processus de rétablissement social et personnel. L’analyse nous a conduits à examiner les paradoxes des formes de rétablissement engagées par les personnes vivant avec une schizophrénie. L’approche phénoménologique en psychiatrie invite le clinicien à porter une attention aux agencements concrets de la vie quotidienne de ces personnes en deçà des catégorisations du normal et du pathologique.