Évaluation de l’adhésion au référentiel Afssaps sur les antifongiques, en hémato-oncologie pédiatrique

Médecine et Maladies Infectieuses(2011)

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Abstract
Résultats Cinquante prescriptions de traitements antifongiques ont été analysées. Leur conformité avec le référentiel de l’Afssaps sur l’utilisation des antifongiques était de 66 % (IC 95 % 52–80 %). Les non-conformités étaient liées à des écarts d’indication, de posologie ou d’association d’antifongiques. Les entretiens ont révélé cinq thèmes pouvant influencer la mise en œuvre de prescriptions conformes : le référentiel, la molécule, le prescripteur, l’enfant et le contexte d’exercice. L’analyse statistique a montré l’absence de lien entre ces non-conformités et l’activité ou le service d’appartenance du prescripteur. Il existait une association significative entre ces non-conformités et l’infection documentée ( p = 0,02). Conclusions Cette étude, en combinant approches qualitative et quantitative, pose la question de la nécessité ou pas de mettre en place des référentiels pour certaines catégories de patients ou de les adapter au contexte particulier de l’hémato-oncologie pédiatrique pour faciliter leur implémentation. Une harmonisation des pratiques relatives à l’utilisation répandue d’associations d’antifongiques est nécessaire. Abstract Objective This study had for aim to identify factors limiting the implementation of clinical guidelines related to the use of expensive antifungal drugs in pediatric hemato-oncology. Design A retrospective study was conducted in a Lyon teaching hospital (France), from February to December 2008. The compliance of antifungal prescription to French guidelines was assessed. Audit findings were interpreted using both semi-directed interviews of six prescribers (qualitative approach) and statistical analysis of prescriptions (quantitative approach). Results Fifty antifungal prescriptions were studied. The compliance with clinical guidelines reached 66% (CI 95% 52–80%). The semi-directed interviews revealed that five issues may have influenced the adherence of prescribers with recommended practices: the guidelines, the molecule, the prescriber, the child, and practice settings. The statistical analysis did not reveal any link between the prescriber's activities or his department and the compliance with guidelines. A significant association was found between the documentation of infection and the non-conformity of antifungal prescriptions ( p = 0.02). Conclusions This study, combining qualitative and quantitative assessments, addressed potential issues related to the implementation of guidelines in specific patient groups or to their adaptation in the context of pediatric hematology-oncology. Harmonization of practices related to the widespread use of antifungal associations is required. Mots clés Antifongiques Recommandations de pratique clinique Hémato-oncologie pédiatrique Keywords Antifungal agents Clinical guidelines Pediatric hemato-oncology 1 Introduction Les infections fongiques sont des infections graves et mortelles touchant principalement les patients immunodéprimés [1] . Face à une suspicion d’infection fongique, les praticiens doivent conformer leur pratique à un référentiel national de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) indiquant le champ de remboursement de leurs prescriptions. Des référentiels de bon usage spécifiques à l’utilisation des molécules antifongiques ont été diffusés en août 2008 [2] . Cependant, ces référentiels s’appuient sur des études scientifiques menées chez l’adulte et l’utilisation d’antifongiques en pédiatrie s’effectue en dehors des indications de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Cependant, les praticiens disposent parfois de recommandations de pratique clinique internes à leur hôpital, guidant la prise en charge du patient de manière appropriée en fonction de ses caractéristiques. Ces recommandations ne sont toutefois pas toujours issues des référentiels nationaux mais davantage de la littérature spécialisée en pédiatrie et de moins bonne qualité du fait de cette population restreinte, mais également de l’expérience des praticiens. Les praticiens perçoivent positivement la mise en place de recommandations pour guider leur décision et améliorer la qualité des soins [3] . Une étude a montré que l’adhérence des professionnels aux recommandations peut se définir selon trois phases consécutives [4]  : la connaissance des recommandations, l’expression d’un accord vis-à-vis de celles-ci et la prise de décision à les appliquer dans leur pratique. Au cours de chacune de ces phases, différents facteurs limitent leur implémentation, liés aux recommandations elles-mêmes, aux traitements envisagés, au couple médecin-patient, ou encore à l’organisation des soins [5] . L’étude de ces facteurs dissocie habituellement approche quantitative et approche qualitative, alors que la combinaison de ces deux types d’approches méthodologiques autorise une interprétation plus complète des résultats obtenus [6] . Des audits de pratiques ont souligné la nécessité d’optimiser les prescriptions d’antifongiques coûteux à l’hôpital, notamment en limitant les associations de molécules non fondées et l’omission des doses de charge spécifiques [7,8] . Cette étude propose de rechercher les facteurs limitant la mise en œuvre de prescriptions d’antifongiques conformes aux référentiels de l’Afssaps et aux recommandations internes au sein d’un établissement pédiatrique. 2 Patients et méthodes 2.1 Schéma et population d’étude Nous avons conduit un audit de pratiques ciblé sur les prescriptions d’antifongiques faites par les médecins de l’institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (IHOP) de Lyon. Les résultats de cet audit ont été interprétés selon deux approches concomitantes : en interrogeant les médecins prescripteurs sur leurs habitudes de prescription au moyen d’entretiens semi-dirigés (approche qualitative) et en identifiant les facteurs liés statistiquement à la conformité des pratiques aux recommandations à l’aide des informations renseignées dans le dossier des enfants hospitalisés (approche quantitative). Tous les enfants hospitalisés à l’IHOP du 1 er  février 2008 au 31 décembre 2008, quelque soit leur âge, et ayant bénéficié d’une prescription d’amphotéricine B liposomale (Ambisome ® ) et/ou de caspofungine (Cancidas ® ) ont été inclus dans l’étude. Les prescriptions de voriconazole (Vfend ® ) et d’amphotéricine B lipidique (Albecet ® ) n’ont pas été étudiées en raison de la rareté de leur utilisation au sein de l’établissement. 2.2 Audit de pratiques L’audit de pratiques cliniques a été réalisé en mesurant la conformité des prescriptions à deux documents de référence : les référentiels nationaux de l’Afssaps relatifs à la prescription d’amphotéricine B liposomale et de caspofungine [2] et les recommandations internes à l’IHOP pour l’utilisation des antifongiques ( Annexe 1 ). Les référentiels nationaux de l’Afssaps étaient mis à la disposition des cliniciens sur le site Internet de l’agence tandis que les recommandations locales de l’IHOP étaient distribuées aux internes au moment de leur prise de fonction dans l’établissement sous la forme d’un livret papier et également consultables sur l’intranet de l’établissement. Ces recommandations internes avaient été élaborées par les praticiens de l’IHOP sur la base de littérature disponible sur le sujet mais aussi de leur expérience clinique. Deux grilles d’audit ont été élaborées [9] . Une première grille a repris les trois critères de conformité de prescription communs aux référentiels Afssaps sur l’amphotéricine B liposomale et la caspofungine ( Tableau 1 ). Une seconde grille incluait six critères extraits des recommandations internes ( Tableau 2 ). Pour chaque prescription d’antifongiques (unité d’analyse statistique), l’adhésion des pratiques aux critères de référence était évaluée à l’aide des données extraites du dossier médical informatisé et « papier » de l’enfant. La prescription d’amphotéricine B liposomale ou de caspofungine était considérée globalement conforme aux référentiels Afssaps si les trois critères de la grille d’audit étaient respectés, quelle que soit la molécule utilisée. De même, la prescription d’antifongiques était considérée globalement conforme aux recommandations internes si tous les critères de la grille étaient respectés. 2.3 Approche quantitative Afin d’identifier certains facteurs associés à la non-conformité des prescriptions aux textes de référence, nous avons collecté, à l’aide du dossier médical, des informations sur les caractéristiques de l’enfant (sexe, âge, fonction hépatique et rénale, antécédents, pathologie, cure de chimiothérapie en cours, facteurs de risque, portage), du prescripteur (spécialité : oncologie, hématologie ; service : unité intensive stérile, unité d’hospitalisation conventionnelle) et du traitement antifongique (type de molécule, posologie, durée de traitement, effets indésirables, traitement nephrotoxique associé, relai antifongique, délai de mise en œuvre en cas de fièvre). Une analyse statistique bivariée a permis de croiser ces données avec l’adhésion aux critères utilisés au cours de l’audit de pratique. Le lien statistique entre la conformité des prescriptions aux recommandations et certaines de ces variables a été mesuré au moyen du test exact de Fisher, afin de vérifier certaines hypothèses posées a priori (documentation de l’infection ou pas, type de germes, activités du prescripteur, type de service, portage à Candida ), ou révélées par l’approche qualitative. L’ensemble des analyses ont été réalisées en utilisant le logiciel SPSS ® (SPSS Inc., release 12.0.0, Chicago, IL, États-Unis) et en fixant le seuil de significativité statistique à p = 0,05. 2.4 Approche qualitative Des entretiens individuels semi-dirigés ont été conduits auprès d’un échantillon de six médecins seniors de l’établissement, responsables des deux services de l’IHOP, quatre hématologues et deux oncologues. Un plan d’entretien standard a été défini au préalable. Il rassemblait un guide d’entretien, une présentation des résultats collectifs et individuels de l’audit de pratiques qui avait été mené, une stratégie d’écoute et d’intervention (types de discours attendus et modes de relance) [10] . Le guide d’entretien comportait cinq questions posées systématiquement à chaque médecin, permettant d’aborder sous des angles thématiques différents les facteurs d’adhésion ou de résistance à la mise en œuvre des référentiels Afssaps et des recommandations internes dans leur pratique quotidienne ( Tableau 3 ). Après accord des médecins, toutes les interviews d’une durée moyenne de 30 minutes, se sont déroulées sur leurs lieux d’exercice et étaient réalisés par une pharmacienne formée aux techniques d’entretien semi-directif. L’analyse du contenu des discours produits, retranscrits de manière littérale à partir de leur enregistrement audio, était ensuite réalisée afin d’identifier des thèmes récurrents dans les discours des praticiens. Des analyses thématiques verticale, horizontale, puis croisée sur le « corpus » devaient permettre l’identification d’une structure thématique pertinente [11] . 3 Résultats 3.1 Population étudiée Au cours de cette période, 796 enfants ont été hospitalisés à l’IHOP dont 586 en hématologie et 210 en oncologie. Parmi ces patients, 42 enfants avaient bénéficié d’une prescription d’antifongiques à l’IHOP de février à décembre 2008, incluant 25 filles (60 %) et 17 garçons (40 %) pour un âge moyen de 9,9 ans (rangs de 0,5 à 20,2 ans). Parmi ces enfants, 21 étaient pris en charge pour une leucémie aiguë (50 %), neuf pour un lymphome (21 %), cinq pour un sarcome (12 %), deux pour une aplasie médullaire (5 %), deux pour une maladie de Fanconi (5 %) et trois pour une autre raison (sialidose type II, neuroblastome surrénalien et moesocoeliaque, adenocarcinome colique) (7 %). Par ailleurs, 16 (38 %) ont bénéficié d’une allogreffe (14) ou d’une autogreffe (deux) et 18 présentaient un portage (digestif ou oropharyngé) de Candida (43 %). Au total, 50 prescriptions d’antifongiques au cours d’un épisode infectieux ont été observées chez ces enfants. Le traitement comportait 37 prescriptions d’amphotéricine B liposomale (74 %), 24 prescriptions de caspofungine (48 %) et 11 prescriptions d’associations d’antifongiques (22 %). Le délai moyen de mise en place du traitement antifongique était de 76 heures (minimum-maximum, de 24 à 192 heures). La posologie moyenne du traitement par amphotéricine B liposomale était de 3,1 ± 0,4 mg/kg par jour. Les doses de charge et d’entretien moyennes du traitement par caspofungine étaient de 69,1 ± 2,5 mg/m 2  par jour et 53,9 ± 11,4 mg/m 2  par jour, respectivement. Trente-trois traitements étaient initiés dans l’unité d’hospitalisation conventionnelle (66 %) et 17 dans l’unité intensive stérile (34 %). Quarante traitements étaient prescrits par un médecin hématologue (80 %) contre dix par un oncologue (20 %). L’infection n’était pas documentée dans 80 % des cas (40/50). Parmi les dix infections documentées, trois l’étaient à Aspergillus et sept à Candida . 3.2 Audit de pratiques La conformité globale aux référentiels nationaux de l’Afssaps des 37 prescriptions d’amphotéricine B liposomale et des 24 prescriptions de caspofungine ( Fig. 1 ) était de 66 % (IC 95 % : 52–80 %). La conformité globale des prescriptions d’antifongiques aux recommandations internes de l’IHOP était de 16 % (IC 95 % : 5–27 %) ( Fig. 2 ). En ne tenant pas compte du critère portant sur le délai de mise en place du traitement antifongique, cette conformité était de 52 % (IC 95 % : 38–66 %). 3.3 Approche qualitative Cinq thèmes ont été identifiés à partir de l’analyse des discours produits par les six praticiens interviewés : le référentiel de bon usage Afssaps, la molécule, le prescripteur, l’enfant et le contexte d’exercice. 3.3.1 Le référentiel de bon usage Selon les praticiens, peu d’études cliniques randomisées contrôlées étaient disponibles chez l’enfant et les bases de l’élaboration des référentiels de l’Afssaps semblaient être un frein à leur application, « Ils ne sont pas bien adaptés à l’enfant dans la mesure où il y a très peu de travaux qui ont été fait et qu’ils ne sont pas adaptés à notre pratique ». N’ayant que peu de temps à accorder à la lecture des recommandations, ils souhaitaient également un contenu plus adapté à leur pratique quotidienne « on aurait envie que les choses soient plus simplifiées ». Certains percevaient que ces référentiels leur imposaient des décisions sans discussion préalable « on a l’impression que nul n’est censé ignorer la loi, nul n’est censé ignorer les recommandations ». Ils étaient peu au courant de la publication de ces référentiels nationaux et de la nécessité de s’y conformer. Différents moyens ont été ainsi proposés pour améliorer leur diffusion, parmi lesquels une lettre d’information par voie postale ou internet, un relai par « des comités de pharmacie » ou la visite d’un émissaire de l’agence dans les services afin d’expliquer et de discuter ces référentiels « quand on a quelqu’un, mandaté par l’Afssaps pour expliquer les recommandations, ça passe beaucoup mieux ». Trois praticiens ont abordé les enjeux économiques liés à ces référentiels, soulignant que limiter la prescription d’antifongiques était nécessaire pour en limiter les coûts puisque « les recommandations de l’Afssaps sont faites pour limiter la prescription et faire attention aux prix et aux indications ». 3.3.2 La molécule Les praticiens de l’IHOP étaient pleinement conscients de ne pas suivre les recommandations de l’Afssaps en prescrivant des associations d’antifongiques. Ils justifiaient la non-conformité de leur pratique par leur propre expérience et surtout en ce qui concerne l’utilisation d’association antifongiques par analogie avec les antibiotiques. Néanmoins, un médecin précisait que « ce qui semble logique pour des antibiotiques, l’est moins pour les antifongiques alors qu’ils n’agissent pas au même niveau (sur la paroi, sur la membrane) et ont des modes d’action différents ». La tolérance était également l’un des facteurs pouvant modifier la pratique du praticien essentiellement basée sur l’expérience de l’utilisation d’une molécule particulière. Au sein de l’IHOP, l’amphotéricine B lipidique présente dans le livret n’était plus utilisée pour des raisons de mauvaise tolérance chez les enfants. « C’est mal toléré sur le plan rénal. C’est mal toléré sur le plan frisson, fièvre… On a de plus en plus tendance à faire plutôt de l’Ambisome ®  ». 3.3.3 Le prescripteur La prescription d’antifongiques semblait liée à la spécialité du prescripteur. Il s’agissait davantage d’une pratique hématologique qu’oncologique du fait d’aplasies plus profondes et prolongées en hématologie « les antifongiques sont plutôt une pratique hématologique pas tellement des pratiques oncologiques ». Concernant les recommandations internes à l’IHOP, les praticiens considéraient qu’elles s’adressaient davantage aux internes de l’établissement ; « Le protocole que l’on a écrit, c’est fait pour que les internes y pensent ». L’expérience et les habitudes des prescripteurs semblaient néanmoins intervenir sur la conformité des prescriptions ; « C’est plus lié au clinicien qui a l’habitude ou pas de mettre en œuvre un traitement antifongique ». Certains praticiens évoquaient l’influence de leur « vécu clinique » plutôt que des « choses randomisées et fiables ». 3.3.4 L’enfant Les praticiens justifiaient la mise en œuvre de tous les moyens disponibles en pédiatrie en évoquant le meilleur pronostic des infections fongiques chez l’enfant que chez l’adulte ; « on a vraiment envie de se battre jusqu’au bout pour que ça se passe bien parce que après ça ne pose plus de problème ». Selon eux, certains signes cliniques étaient déterminants pour décider de l’initiation d’un traitement antifongique tels des « signes d’infection dans le sang : la protéine C-réactive (CRP), le fibrinogène, mais aussi la durée d’aplasie, l’état de l’enfant ». 3.3.5 Le contexte d’exercice La politique de service semblait jouer un rôle dans les pratiques des médecins ; « c’est une politique commune qui est développée dans le service ». Les praticiens les moins expérimentés déclaraient se fier aux médecins plus expérimentés et ayant mis en place cette politique. « C’est comme ça que ça se fait ici je ne peux pas dire si c’est bien ou pas bien, mais je n’ai aucune façon de le défendre ou de ne pas le défendre ». 3.4 Analyse quantitative Le sexe, l’âge, la pathologie, l’altération de la fonction hépatique ou rénale de l’enfant n’étaient pas associés à la non-conformité des prescriptions au référentiel de l’Afssaps et aux recommandations internes. Aucune relation significative n’a été mise en évidence entre la non-conformité de ces prescriptions et la spécialité des prescripteurs. Des prescriptions non conformes au référentiel Afssaps étaient davantage observées chez les patients présentant une infection documentée ( Aspergillus ou Candida ) comparativement aux patients présentant une aplasie fébrile non documentée ( p = 0,02). Cette différence était observée plus précisément sur les critères « indications » et « monothérapie » ( Tableau 4 ). Aucune différence significative liée à la documentation de l’infection n’a été mise en évidence pour les recommandations internes. Bien que suggérés par les praticiens, la spécialité du prescripteur et son service d’appartenance ne présentaient pas de lien statistiquement significatif avec la non-adhésion aux référentiels de l’Afssaps et aux recommandations internes. 4 Discussion Cette étude visait à déterminer les facteurs favorisants ou limitants l’application de référentiels nationaux et de recommandations internes relatifs à l’utilisation des antifongiques en pédiatrie. L’évaluation des prescriptions d’antifongiques à l’IHOP a révélé une conformité aux référentiels de l’Afssaps (66 %) plus importante que celle aux recommandations internes à l’établissement (16 %). La faible conformité des pratiques aux recommandations internes était principalement imputable au non-respect d’un seul critère (délai de mise en place du traitement antifongique) qui semblait fortement influencé par les signes cliniques et biologiques du patient et le délai d’arrivée de la fièvre par rapport au début de l’aplasie. Selon les praticiens, la précision d’un délai de mise en place d’un traitement antifongique au sein de leurs recommandations était nécessaire pour fixer un ordre d’idée. Cependant, l’étude a montré que cet ordre de grandeurs des délais n’était pas non plus respecté. En excluant ce critère, la conformité aux recommandations internes était de 52 %. Par ailleurs, la mauvaise conformité à ces textes de référence peut s’expliquer par la prépondérance des réunions pluridisciplinaires à l’IHOP, au cours desquelles les prises en charges sont adaptées au cas par cas et ne considèrent parfois pas les recommandations nationales ou locales en raison de la complexité des cas en hémato-oncologie ou en cas d’échec au traitement conventionnel. En cancérologie, d’autres travaux ont montré l’impact bénéfique de l’instauration d’un guide de recommandations au sein d’un établissement avec des taux de conformités élevés [12] . Ces recommandations étaient d’autant plus suivies qu’elles étaient issues d’un consensus de praticiens d’un même établissement ou de plusieurs établissements de santé. Ces observations de la littérature sont en contraste avec les résultats de notre étude qui montre un suivi des recommandations internes faibles [13] . L’analyse qualitative a mis en avant l’aspect particulier de l’utilisation des antifongiques en pédiatrie. En effet, peu d’études cliniques sont menées chez l’enfant pour des raisons financières, de faisabilité ou d’éthique [14,15] . Les spécificités de prises en charge en pédiatrie demeurent peu abordées dans les référentiels de l’Afssaps. Par conséquent, les praticiens basent leurs pratiques sur des cas rapportés, des études effectuées chez l’adulte le cas échéant, mais aussi sur leur expérience à partir du vécu clinique auprès des enfants. Par ailleurs, la place de l’enfant dans les sociétés occidentales justifierait la mise en œuvre de tous les moyens disponibles lors de sa prise en charge en hémato-oncologie pédiatrique, s’écartant parfois des pratiques recommandées [16] . Les entretiens ont révélé l’importance accordée par les praticiens à des visites effectuées par les représentants de l’Afssaps pour discuter de l’applicabilité du référentiel aux particularités de la pratique en pédiatrie. Concernant les recommandations internes, un travail de diffusion et de formation semble nécessaire. Le recours à des rappels informatisés au moment de la prescription peut répondre aux oublis de dose de charge de la caspofungine, de même que la mise en place de protocoles de prescriptions-types guidant l’utilisation des antifongiques [17] . Enfin, les pharmaciens, étant responsables de la sécurité du circuit du médicament, ont non seulement un rôle dans la diffusion et le respect des référentiels mais aussi dans les recommandations internes lors des réunions pluridisciplinaires, par exemple [18] . L’analyse quantitative a principalement montré que l’utilisation d’associations d’antifongiques était plus fréquente en cas d’infection documentée. Les bithérapies ne sont pas recommandées par les référentiels de l’Afssaps en raison de l’absence de résultats concluants et d’études représentatives sur leur utilisation. Au niveau international, des groupes de travail tels que l’European Conference on Infectious in Leukemia (ECIL) ou l’Infectious Disease Society of America (IDSA) ne recommandent également pas d’associations d’antifongiques dans le traitement des candidoses ou de l’aspergillose en première intention [19–21] . En revanche, après échec thérapeutique d’une monothérapie antifongique d’une aspergillose, la prescription d’une bithérapie pourrait être envisagée au cas par cas. Le manque de conformité au référentiel de l’Afssaps sur les associations d’antifongiques peut s’expliquer par une opposition avec le contenu des recommandations internes à l’IHOP. Les praticiens de l’établissement sont conscients de ne pas « être dans les clous » sur ce critère et se basent des séries de cas pédiatriques rapportés dans la littérature mais aussi de leur propre expérience d’utilisation de ces associations [22–24] . Leur pratique « déviante » pourrait être confortée par l’absence de décès durant cette année chez leur patient du à une infection antifongique traitée par une association. Une étude est actuellement menée pour objectiver l’efficacité des associations au sein de l’IHOP. Les pratiques de prescription de telles associations d’antifongiques mériteraient d’être clarifiées puisqu’elles ne sont pas propres à l’IHOP et de tels écarts aux référentiels ont également été rapportés dans le cadre d’autres audits de pratiques [7,8] . Une étude « ici-ailleurs » permettrait de déterminer s’il y existe une différence de démarche thérapeutique entre deux établissements traitant des mêmes pathologies et de la même population de patient. En cas d’écart de pratique, les pédiatres seraient amenés à justifier leurs choix. Il serait donc possible d’envisager un encadrement plus précis de l’utilisation des associations d’antifongiques. Notre étude révèle des facteurs déjà retrouvés dans d’autres travaux sur l’asthme chez l’enfant tels que les problèmes de diffusion des recommandations ou l’accord avec le référentiel mis en place [25] . Elle souligne également l’impact du caractère patient (l’enfant) sur le suivi des recommandations. Notre étude présente des limites. Certains éléments énoncés lors des entretiens n’ont pu être vérifiés à l’aide de l’analyse quantitative, comme l’influence du portage de Candida ou du contexte d’exercice sur la conformité au référentiel. En effet, l’hémato-oncologie pédiatrique regroupe des pathologies peu fréquentes et les infections fongiques sont rares. Il en découle une petite taille d’échantillon pouvant limiter la puissance des tests statistiques. Par ailleurs, le caractère monocentrique de l’étude limite la représentativité de nos résultats. Il est également difficile de comparer la conformité du référentiel Afssaps avec les recommandations internes puisque le nombre et le thème des critères de l’audit étaient différents. En effet, les critères de conformités du référentiel de l’Afssaps concernaient essentiellement la prescription d’antifongique alors que les critères de conformité des recommandations internes portaient sur le traitement et la prise en charge. L’analyse de certains facteurs de non-conformité aux recommandations, tels les effets indésirables potentiellement imputables aux antifongiques, aurait été pertinente. Ces critères n’ont pas été inclus dans cette étude pour des raisons de faisabilité (peu de patients ayant présentés des effets indésirables) et de sensibilité de l’analyse. Enfin, des contrôles de qualité n’ont pas été mis en place au cours de cette étude tel que le respect du remplissage des grilles, la cohérence entre les réponses et commentaires. En effet, l’audit a été mené par une même personne. Il était donc difficile de mettre en œuvre une vérification de ces données. Cette étude, en combinant approches qualitative et quantitative, a proposé une analyse originale des facteurs pouvant influencer l’application des référentiels nationaux et des recommandations locales relatives à l’utilisation des antifongiques chez l’enfant. Elle souligne la nécessité d’adapter les référentiels Afssaps au contexte particulier de l’hémato-oncologie pédiatrique pour faciliter leur implémentation. Une harmonisation des pratiques relatives à l’utilisation répandue d’associations d’antifongiques est nécessaire. Conflit d’intérêt Les auteurs n’ont pas de conflits d’intérêt. Annexe 1 Recommandations locales pour la prescription d’un traitement antifongique à l’IHOP. Addendum I: Local recommendations for the prescription of an antifungal treatment at the pediatric hemato-oncology institute. Aplasie fébrile Fièvre ≥ 38,5 °C ou ≥ 38,5 °C à 2 reprises à 1 h d’intervalle Neutropénie (PNN < 500/mm 3  ou 0,5 G/L) ou attendue dans les 24 h Bilan à l’entrée d’une aplasie fébrile NFS, CRP, hémoculture X3, ECBU, ionogramme + créatinémie Radiographie pulmonaire systématique si patient greffé, en urgence si signes respiratoires ou douleur thoracique Prélèvements/analyse à effectuer en cas d’aplasie fébrile > 48 h Antigénémie à Aspergillus et à Candida Délai de mise en place d’un traitement antifongique selon le risque d’infection Groupe 1 a Ceftriaxone + amikacine À H48, si fièvre persistante sans documentation : vancomycine À j6, si fièvre persistante sans documentation : discuter les antifongiques Si signes de gravité : traiter selon le groupe 2 Groupe 2 b Pipéracilline/tazobactam + amikacine + vancomycine À j5, si fièvre persistante sans documentation : discuter les antifongiques Groupe 3 c Pipéracilline + amikacine + vancomycine (+ décontamination digestive) À H48, si fièvre persistante sans documentation : discuter les antifongiques Traitements antifongiques En absence de documentation Si localisation hépatique ou pulmonaire : amphotéricine B lipidique (5 mg/kg/j) Si l’absence de localisation : amphotéricine B liposomale (3 mg/kg/j) En absence de documentation chez les allogreffés Caspofungine Dose de charge : 70 mg/m 2 /j à j1 (maximum 70 mg/j) Dose d’entretien : 50 mg/m 2 /j (si poids > 70 kg, dose d’entretien : 70 mg/j) En cas d’aspergillose documentée ou probable Association voriconazole IV (7 mg/kg/12 h) + (amphotéricine B lipidique ou liposomale ou caspofungine) Si intolérance au voriconazole : amphotéricine B + caspofungine En cas de septicémie à levure Amphotéricine B + caspofungine a Groupe 1 : tumeur solide, histiocytose langerhansienne, lymphome (sauf Burkitt groupe C et lymphoblastique), aplasie fébrile en absence de voie veineuse centrale, leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) en traitement d’entretien. b Groupe 2 : LAL ( non very high risk ) induction , interval therapy , réinduction, rechutes LAL (bloc de consolidation), lymphome lymphoblastique, Burkitt groupe C, neuroblastome stade IV (induction du HRNBL1). c Groupe 3 : induction des rechutes de LAL (Vanda, bloc R/R2 groupés, bloc F1/F2), LAM, LAL VHR et NRS, allogreffe, aplasie médullaire, déficits immunitaires, autogreffe. 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Antifongiques,Recommandations de pratique clinique,Hémato-oncologie pédiatrique
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